Cas unique en Europe et pratiquement dans le monde, la France ne propose pas de cours sur les religions mais les enseigne à ses élèves de façon transdisciplinaire.
À l’heure du tout-info et de la viralité des nouvelles, vraies comme fausses, comment sensibiliser des collégiens aux « fake news » et au danger du complotisme ?
Sandrine Sirvent, enseignante au collège Jules ferry de Narbonne, en SEGPA, les classes spécialisées destinées aux élèves en difficulté, a décidé de relever le défi. Lorsqu’en février dernier, une rumeur d’enlèvement d’enfants aux abords des collèges commence à agiter la ville de Narbonne, dans l’Aude, où elle enseigne, pour elle, c’est le déclic. Elle décide de s’emparer de la question et commence par demander aux élèves de sa classe de 5e : qu’en pensez-vous ? Le premier jour, chacun y va de sa petite anecdote. C’est la première fois qu’une rumeur prend une telle importance dans la ville. L’un des élèves prétend même que son oncle lui a raconté que l’agresseur avait poursuivi ses victimes avec un couteau.
« La rumeur contribue à générer de la peur et du stress mais a aussi un effet socialisant sur les élèves, analyse l’enseignante. Elle leur permet de se faire peur mais aussi de créer des liens, une connivence autour d’un évènement ».
Sandrine Sirvent constitue alors une revue de presse composée d’un communiqué officiel de la préfecture de l’Aude, d’une capture d’écran d’un SMS qu’elle avait reçue d’une mère de famille de l’école où étaient scolarisés ses fils, et d’une page Facebook d’alerte. Elle demande à ses élèves de classer ces différents documents suivant qu’ils les estiment fiables ou non et d’expliquer leur choix. L’usage du conditionnel dans les références à l’évènement met la puce à l’oreille des collégiens. Pourquoi tant de « aurait » et de « serait » ? Peut-être parce que le journaliste qui a écrit l’article n’était pas absolument sûr de tout ce qu’il avançait, se demandent les adolescents. Peut-être faudrait-il remonter à la source, rencontrer les journalistes et les policiers. Tous les élèves s’attellent alors à l’écriture d’une lettre, avec une motivation que l’enseignante ne leur avait jamais vue. « J’ai pensé : j’ai trouvé le bon filon », raconte-elle aujourd’hui en riant. La semaine suivante est consacrée au projet. Il faut dire que le temps presse : les vacances scolaires arrivent bientôt.
Le jour J, un policier vient expliquer son métier. Même un élève qui avait eu une mauvaise expérience avec la police et promettait de chahuter le cours se montre attentif. Face à la classe, l’agent de police rassure les élèves et leur explique qu’il existe des informations qu’on doit vérifier et d’autres qui relèvent plus du fantasme. Il apporte notamment la preuve que certaines informations sont en fait des « fake news » et revient par exemple sur une rumeur qui a agité la population, sur un mystérieux camion blanc stationné devant un collège. Sa présence avait poussé les élèves à appeler la police. Il se trouve qu’il s’agissait en fait juste d’un maçon qui prenait sa pause déjeuner dans son véhicule un jour de marché, quand circulent de nombreux camions blancs de livraison. Certaines jeunes filles étaient allées jusqu’à imprimer des plaques d’immatriculation censées être celle du kidnappeur. D’autres avaient récupéré un portrait-robot qui s’est avéré être celui d’une autre affaire qui avait eu lieu en Seine- Maritime.
Avec ce projet, Sandrine Sirvent a pu mieux saisir la réalité de ses élèves en parlant avec eux. Ancien institutrice, celle qui enseigne aussi l’espagnol et la musique travaille énormément sur l’oral, là où elle a noté que les progrès sont souvent les plus spectaculaires chez ses élèves. « Seuls les débats peuvent leur apprendre à penser et à s’émanciper », explique-t-elle en se basant sur son expérience des classes SEGPA, où sont regroupés à partir de la sixième les élèves en très grande difficulté – avant d’être le plus souvent envoyés en lycée professionnel, voire de sortir du système scolaire. Une expérience stigmatisante pour la plupart d’entre eux.
« J’ai été surprise en parlant avec les élèves de constater à quel point ils étaient dogmatiques, se rappelle Sandrine Sirvent. A la maison, personne ne leur demande ce qu’ils pensent de tel ou tel sujet. Je me suis dit : il me reste peu de temps pour les aider à aiguiser leur esprit critique ».
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