Cas unique en Europe et pratiquement dans le monde, la France ne propose pas de cours sur les religions mais les enseigne à ses élèves de façon transdisciplinaire.
Cette l’étude sociologique publiée en avril 2017, sous la direction d’Anne Muxel et Olivier Galland au lendemain des attentats de 2015, visait à mesurer le « degré de pénétration » des idées radicales de type politiques, culturelles et religieuses chez les lycéens. Il ne s’agissait pas d’évaluer le processus de radicalisation qui conduit au passage à l’acte.
Un questionnaire de 85 entrées a été proposé à des jeunes de 14 à 16 ans dans 23 établissements scolaires, dont beaucoup se trouvent en zones urbaines sensibles. Les jeunes musulmans y sont surreprésentés (24% des répondants). Un autre sondage a été réalisé auprès d’un échantillon représentatif d’adolescents du même âge afin de pouvoir dresser des comparaisons. Au total, 6 828 questionnaires ont été exploités. Ce travail quantitatif s’est accompagné d’entretiens qualitatif en face-à-face (20 entretiens individuels et 34 entretiens collectifs). Lors de ces échanges, les adolescents ont beaucoup insisté sur la notion de « respect » – de la dignité, des croyances, de règles morales ou sociales. Les auteurs de l’enquête font du respect « un mot-clé du vivre-ensemble ».
Les chiffres qui choquent et qui font débat
L’analyse des réponses au questionnaire conclut qu’il existe un « effet islam » sur la radicalité idéologique des lycéens. Autrement dit, la religion elle-même jouerait un rôle important dans la radicalité religieuse des jeunes musulmans qui font preuve d’un « absolutisme religieux » plus marqué que leurs camarades et sont aussi plus nombreux à penser que, dans certains cas, il est légitime de « combattre les armes à la main pour sa religion » (20% contre 9 pour les chrétiens et 6,5 pour les sans- religion). La variable religieuse serait plus importante et significative que les facteurs socio-économiques par exemple.
Ce résultat est contesté par d’autres spécialistes de ces sujets qui estiment que les deux questions permettant de mesurer l’ « absolutisme religieux » étaient biaisées. La première demandait aux élèves s’ils pensent qu’« il y a une seule vraie religion ». L’autre question concernait le créationnisme : « Lorsque la religion et la science s’opposent sur la question de la création du monde, d’après toi : c’est plutôt la religion qui a raison ou c’est plutôt la science qui a raison ? » Les spécialistes qui ont réagi à l’enquête soulignent qu’un individu peut considérer qu’il n’existe qu’une vraie religion sans être radical et être créationniste sans qu’il s’agisse d’un indice de rupture sociale. Ils reprochent aussi aux auteurs les deux questions pour mesurer l’adhésion à la laïcité qui concernent les repas dits « de substitution » (menus sans porc) à la cantine et l’interdiction du port du voile à l’école.
De leur côté, Anne Muxel et Olivier Galland se défendent d’avoir voulu effacer les facteurs socio- économique : « le facteur religieux n’élimine pas l’impact d’autres paramètres. Le débat est piégé par l’idéologie », a indiqué Anne Muxel à L’Obs. « Notre enquête, que nous avons voulu dépassionnée, a ses limites. Il serait urgent, maintenant, de mener une étude approfondie sur le rapport à l’islam des jeunes musulmans ; sur leur façon d’interpréter leur religion », concluait-elle dans cette interview.
Les différents points de vue :
- L’analyse de Gérard Grunberg, directeur de recherche émérite au CNRS – Telos
- Une enquête défectueuse : les limites de l’enquête selon l’historien spécialiste de la laïcité Jean Baubérot – Mediapart
- Le manque d’analyse sur les discriminations perçues par les lycéens selon le socio- démographe Patrick Simon – Le Monde
- L’islam chez les ados, la polémique : Anne Muxel et Olivier Galland répondent aux critiques sur leur enquête – L’Express