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Le Cercle des enseignant.e.s laïques, un collectif de professeurs de Seine-Saint-Denis, a co-écrit avec l’historien spécialiste de la laïcité Jean Baubérot un Petit manuel pour une laïcité apaisée (La Découverte, 2016). Cet ouvrage présente des analyses ainsi que des solutions face à des problèmes rencontrés dans le cadre de l’école. Florine Leplâtre, enseignante de Lettres, et Paul Guillibert, enseignant de philosophie, expliquent cette démarche pratique.

Qu’est-ce que le Cercle des enseignant.e.s laïques ?

Florine Leplâtre : Il s’agit de cinq professeur·e·s enseignant l’histoire, les lettres et la philosophie. Nous nous sommes réuni·e·s, par affinités, fin 2014, autour de ce projet d’ouvrage afin d’articuler la démarche de sciences sociales de Jean Baubérot avec notre expérience de terrain. Nous voulions aussi nous réapproprier la notion de laïcité en tant que principe régulateur et émancipateur, et aider les collègues à faire de même.

Paul Guillibert : Beaucoup de collègues s’interrogent sur la laïcité, cherchent à trouver des solutions et se concentrent sur l’usage de la laïcité au quotidien. Dans le livre, nous nous attachons à préciser ce qu’est la laïcité au regard du droit existant, à définir la laïcité historique et décrire son évolution, et à rendre compte de certains débats philosophiques autour de cette notion. Au vu de notre expérience concrète, il s’agis- sait aussi de voir comment mettre en oeuvre la laïcité dans des pratiques pédagogiques qui soient émancipatrices et contribuent à la formation de futur·e·s citoyen·ne·s.

Ce livre a-t-il également un lien avec vos élèves ?

PG : Oui, nous travaillons tout·e·s en Seine-Saint-Denis. On a beaucoup parlé de nos élèves après les attentats de janvier 2015, mais on ne peut pas ramener tous les problèmes de Seine-Saint-Denis ou des quartiers populaires concernant l’école à la question de la laïcité ou de la religion. D’expérience, la majeure partie des problèmes que nous rencontrons concernent plutôt les moyens matériels et humains, les dotations horaires, l’organisation des lycées.

FL : Il est important de souligner que oui, certain.es élèves tiennent des discours obscurantistes sur certains sujets, mais qu’on entend les mêmes propos lors de repas de famille ou dans notre entourage. Il faut traiter ces discours sans s’en offusquer et sans y voir systématiquement une atteinte à la laïcité, en se mettant dans une position d’argumentation et en expliquant pourquoi ces propos sont discriminatoires.

Vos pratiques pédagogiques sont donc liées à cette conception de la laïcité ?

FL : Pour nous, il faut concevoir la liberté de conscience dans ses différentes dimensions : elle n’existe pas sans liberté de culte, ni sans liberté d’expression. Certains philosophes prônent la « liberté différée » qui a des implications pédagogiques. Les élèves mettraient de côté tout ce qui fait leur identité avant d’entrer dans l’établissement. En caricaturant, ils seraient des « pages blanches » sur lesquelles on pourrait imprimer le savoir neutre de la République.

PG : La « liberté différée » est une très vieille idée, c’est un débat pédagogique profond. Nous prônons exactement l’inverse : donner une liberté de conscience quasi-totale aux élèves pour pouvoir attendre d’eux un exercice réfléchi du jugement, un esprit critique. L’idée n’est donc pas de faire taire les objections, comme celles sur la théorie de l’évolution par exemple, mais de les laisser s’exprimer afin de créer un dialogue constructif menant à l’élaboration d’un savoir qui distingue la croyance des sciences, dans ce cas précis.

FL : Si on ne laisse pas les élèves s’exprimer, ils s’habitueront, dans leurs devoirs, à servir aux professeur·e·s ce qu’ils attendent. Ils garderont pour eux leurs idées sur la création, mais aussi sur les supposés complots, etc.

Comment rétablir la laïcité « apaisée » à laquelle vous appelez ?

FL : D’abord, en « désacralisant » les problèmes, en se demandant s’il s’agit vraiment d’une atteinte à la laïcité et si le fond du problème est vraiment religieux. Ensuite, un enseignement laïc du fait religieux permettrait de désamorcer bien des situations conflictuelles. Mais les formations spécifiques par discipline sont trop peu nombreuses.

PG : Nous esquissons quelques pistes de réflexion politiques, qui impliquent de revenir sur un certain nombre de lois et décrets pris depuis 2004. La loi de 2004 sur les signes religieux ostensibles n’a pas réglé les problèmes. Au contraire, elle a provoqué une inflation de ceux-ci, puisque les équipes pédagogiques sont confrontées, en permanence, à de possibles entorses à la laïcité. Les jupes longues ou les bandeaux sont-ils des atteintes à la laïcité ? Si oui, comment sait-on qu’ils le sont sur telle jeune fille et pas sur telle autre ? C’est à l’ensemble du corps éducatif de se positionner pour savoir si tel signe est religieux ou pas, ce qui est une attitude anti- laïque ! Le consensus de 1989, qui interdisait le prosélytisme défini de manière extrêmement stricte comme une atteinte à la dignité des autres, nous semblait plus pertinent.

Petit Manuel pour une laïcité apaisée à l’usage des profs, des élèves et de leurs parents. Le Cercle des enseignant.e.s laïques et Jean Baubérot, professeur émérite de la chaire « Histoire et sociologie de la laïcité » à l’Ecole pratique des Hautes Etudes. Éditions La Découverte.

Article initialement publié dans la lettre LaïCités
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