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Deux femmes au travail, dont l'une porte un voile.

Signes religieux : L’employeur peut-il imposer une clause de neutralité ?

Deux femmes au travail, dont l'une porte un voile.
©Getty – xavierarnau

Depuis l’adoption de la loi Travail en 2016, le Code du travail donne aux entreprises et associations la possibilité d’inscrire une « clause de neutralité » dans leur règlement intérieur, afin de restreindre l’expression des convictions personnelles de leurs employés au travail.

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) en a depuis fortement encadré les modalités d’application, par une jurisprudence européenne abondante et évolutive. Quelles sont donc les situations qui permettent d’imposer la neutralité au travail ? Et comment le faire en toute légalité ?

Libertés individuelles vs. Politique de neutralité

Si le principe de laïcité oblige les agents publics à la plus stricte neutralité religieuse dans l’exercice de leurs fonctions, ce cadre ne s’applique pas au secteur privé et les employeurs ne sauraient l’invoquer pour imposer la neutralité à leurs salariés. En entreprise, la liberté est la norme et toute limitation constitue une exception : ainsi, le Code du travail n’autorise ces restrictions que lorsqu’elles sont justifiées, proportionnées et exemptes de toute discrimination. Par ailleurs, le port de signes religieux est protégé par la « liberté de pensée, de conscience et de religion » (art. 10, Charte des droits fondamentaux de l’UE)

Néanmoins, les entreprises et associations françaises ont la possibilité, depuis 2016, d’apporter des restrictions aux libertés individuelles par l’inscription d’une clause de neutralité dans leur règlement intérieur, à condition de satisfaire aux nombreuses exigences posées par la loi et la jurisprudence.

Clause de neutralité : principes de base à respecter

Pour imposer la neutralité dans une entreprise ou une association, il s’agit de respecter des conditions strictes, qui visent à préserver les droits fondamentaux des salariés et à prévenir toute discrimination.

  • Caractère général et indifférencié : La clause doit s’appliquer à toutes les convictions (religieuses, philosophiques ou politiques), sans en cibler aucune en particulier, ainsi qu’à tout signe visible et non seulement à ceux jugés « ostentatoires ». Par exemple, il serait discriminatoire d’interdire uniquement le port du voile ou celui de symboles religieux de grande taille. La CJUE souligne cette exigence d’indifférenciation, notamment dans les arrêts Achbita et Bougnaoui de 2017, afin d’éviter toute discrimination indirecte.
  • Application limitée et circonstanciée : La clause doit être « spéciale », c’est-à-dire ne s’appliquer qu’aux salariés concernés par la situation qui justifie cette politique de neutralité (par exemple, seulement les salariés en contact avec la clientèle, ou bien uniquement ceux qui interviennent dans le cadre d’une délégation d’exécution de service public)
  • Obligation de reclassement : Si une clause de neutralité est introduite et qu’un salarié refuse de s’y conformer, l’employeur doit – dans la mesure du possible – lui proposer un poste auquel cette politique ne s’applique pas. Cette obligation de moyen vise à protéger les droits des salariés tout en évitant de faire peser une charge excessive sur l’entreprise.

Par ailleurs, la présence d’une clause de neutralité ne peut en aucun cas justifier des pratiques discriminatoires à l’embauche. Exclure a priori une candidature, en raison du port d’un signe religieux, serait une discrimination directe tombant sous le coup du Code du travail.

Justification et proportionnalité : des conditions de plus en plus restrictives

Mais ce n’est pas tout ! Pour qu’une clause de neutralité soit valide, elle doit aussi et surtout poursuivre un objectif légitime, une exigence que la jurisprudence est venue enrichir et préciser ces dernières années.

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prestataires privés

Prestataires privés du service public : doivent-ils être neutres ?

prestataires privésDe plus en plus, l’État et les collectivités font appel à des prestataires privés – entreprises, associations ou indépendants – auxquels ils confient des missions variées.

Dans ce contexte, alors que les agents publics sont tenus à une obligation de stricte neutralité, qu’en est-il des prestataires privés des services publics ?

La neutralité du service public

Dans le respect du principe de laïcité, la neutralité de l’État se manifeste à travers celle des services publics et de leur personnel. Ainsi, les agents, contractuels, stagiaires et volontaires en service civique au sein des organismes public sont tenus de respecter une obligation stricte de neutralité qui leur interdit de manifester leurs convictions, notamment religieuses, dans l’exercice de leurs fonctions.

Par la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, cette obligation a été étendue aux salariés des entreprises publiques, des bailleurs sociaux et des entreprises ferroviaires de transport de voyageurs. Par ailleurs, cette loi a également entériné le principe selon lequel les prestataires privés auxquels est confiée l’exécution d’un service public doivent également respecter l’obligation de neutralité.

Qu’est-ce qu’une « mission de service public » ?

De nombreux prestataires privés peuvent être amenés à travailler avec des services publics. Cependant, toute activité réalisée pour le compte d’une entité publique ne constitue pas nécessairement une mission de service public. De même, toute activité d’intérêt général n’est pas automatiquement considérée comme une mission de service public.

En effet, le Conseil d’État rappelle « qu’une même activité peut être, en différents endroits du territoire, tantôt un service public, tantôt une activité d’intérêt général. Une activité d’intérêt général, alors même qu’elle pourrait constituer un service public si elle était assumée par une personne publique, n’est pas soumise aux règles et principes du service public lorsqu’elle est uniquement subventionnée et réglementée. »

En l’absence de définition légale précise, la jurisprudence a établi trois critères à réunir pour qualifier la délégation d’une mission de service public :

  • l’intérêt général attaché à l’activité ;
  • le contrôle de l’administration : l’organisme privé doit être soumis à un contrôle effectif de l’administration quant à l’exécution de l’activité ;
  • la détention par l’organisme privé de prérogatives de puissance publique, ce critère étant toutefois appliqué avec souplesse.

Lorsque ces conditions sont réunies, le prestataire privé est considéré comme délégataire d’une mission de service public et doit respecter l’obligation de neutralité, au même titre que les agents publics. Par exemple, une entreprise privée assurant le transport scolaire sous délégation de service public doit veiller à ce que ses chauffeurs ne portent aucun signe religieux visible. 

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Des salariés en tenue professionnelle

Tenue professionnelle exigée ?

Des salariés en tenue professionnelleLe lien entre religion et tenue professionnelle suscite des débats récurrents en entreprise, mais la question religieuse est loin de représenter le seul motif de conflit quant à la tenue vestimentaire au travail ! Celle-ci joue en effet un rôle essentiel dans les interactions sociales et professionnelles, répondant à des codes souvent normés selon le secteur d’activité, le métier ou le niveau hiérarchique.

Comment définir alors ce que l’on appelle une « tenue professionnelle » ? Et quelles sont les règles qui s’appliquent spécifiquement au port de vêtements religieux au travail ?

Qu’est ce qu’une tenue professionnelle ?

Si la plupart des salariés du secteur privé ne se voient pas imposer de code vestimentaire précis, plus de la moitié d’entre eux déclarent soigner leur apparence afin de ne pas nuire à l’image de l’entreprise. La notion de « tenue professionnelle » reste cependant floue, et elle varie selon les métiers et les environnements de travail. 

Chaque entreprise qui impose un code vestimentaire doit le faire apparaître clairement, par exemple dans son règlement intérieur. Selon le Code du travail, les restrictions apportées aux libertés individuelles doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, proportionnées au but recherché et non-discriminatoires

Les exigences vestimentaires doivent donc être fondées non pas sur des attentes sociales ou culturelles quant à l’apparence des personnes, mais sur des raisons objectives comme la sécurité, l’hygiène ou l’identification par la clientèle. Ainsi, l’imposition d’un uniforme ou d’une tenue professionnelle standardisée peut être justifiée, puisqu’elle consolide l’image de l’entreprise et facilite la reconnaissance du personnel par la clientèle.

Peut-on imposer le port d’une « tenue correcte » ?

L’employeur peut exiger le port d’une tenue correcte pour les employés en contact avec le public, afin de maintenir une image conforme à celle de l’entreprise. Par exemple, le port du bermuda ou du survêtement a pu être jugé incompatible avec certaines fonctions.

Il peut également être interdit de porter au travail des vêtements jugés indécents, susceptibles de choquer la clientèle ainsi que de perturber l’entreprise. Par exemple, l’employeur peut appliquer des sanctions pour des tenues trop révélatrices ou porteuses de messages violents, haineux ou grossiers. 

En revanche, il s’agit de veiller à ce que les exigences en matière de tenue professionnelle respectent l’égalité des sexes et ne perpétuent pas des stéréotypes de genre. Par exemple, il a été jugé discriminatoire de licencier un serveur au motif qu’il avait refusé de retirer ses boucles d’oreilles, pourtant autorisées pour ses collègues féminines. De même, l’obligation faite à une employée d’entretien de porter une jupe au travail a été condamnée au motif que celle-ci n’était ni justifiée par la tâche à accomplir, ni proportionnée au but recherché.

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